CODEV : Indicateur de Capacité Relationnelle (RCI)
Les recherches du Programme CODEV ont permis de mettre au point une méthodologie mixte (quantitative et qualitative) ayant comme attention particulière la qualité du lien social comme condition essentielle d’un développement social durable et de la contribution de l’entreprise au développement. Le travail que nous menons sur les capacités relationnelles permet d’analyser les impacts des programmes de RSE et contribue à nourrir l’analyse des causes profondes et du sous-développement. Pour être pertinents, les données quantitatives et les indicateurs doivent être complétés par des analyses socio-culturelles et politiques.
1) Définitions
L’indicateur de Capacité Relationnelle (RCI) essaie de représenter la qualité du lien social au sein d’un groupe, et fournit des informations sur le tissu social. L’indicateur comprend trois dimensions : intégration dans les réseaux, relations privées, et engagement civique.
Cette approche est complémentaire d’autres indicateurs de développement qui mesurent la pauvreté matérielle, comme par exemple le MPI (Indicateur de pauvreté multidimensionnelle, OPHI et PNUD), qui « est une mesure internationale de la grande pauvreté sur 100 pays en développement. Il se veut une approche complémentaire des mesures traditionnelles de la pauvreté selon le revenu en tenant compte des privations importantes qui touchent une même personne dans les domaines de l’éducation, de la santé et des conditions de vie. » [1]
2) Capacité relationnelle et pauvreté : définitions et ancrage philosophique
2.1) Capacité relationnelle
Comme mentionné plus haut, nous distinguons trois différentes dimensions des capacités relationnelles, à savoir : intégration dans les réseaux, relations privées et engagement civique. En nous appuyant sur la distinction entre les aspects économiques, culturels et politiques de la cohésion sociale [2] et de la justice [3], nous montrons que chacune des trois dimensions de la capacité relationnelle est liée à un certain type d’inclusion ou d’exclusion au sein de la société, comme détaillé ci-dessous :
L’intégration dans les réseaux est liée à l’inclusion socio-économique : quelqu’un qui n’a pas d’emploi, et un accès réduit à l’information, aux télécommunications et aux moyens de transport, est considéré comme pauvre et exclu de réseaux relationnels pour des raisons matérielles. Chercher des améliorations dans cette première dimension socio-économique signifie chercher une meilleure distribution des avoirs relationnels (comme l’accès à l’information et à divers moyens de communication), des opportunités d’emploi et des moyens de transport.
Les relations privées sont liées à la dimension culturelle et sociale de l’inclusion. Par exemple, une personne qui ressent qu’elle n’est pas aimée de sa famille, qui n’a pas d’amis ou qui ne peut pas faire confiance à d’autres en cas de difficultés est culturellement ou socialement exclue. Elle souffre d’un manque de reconnaissance et vit une expérience d’isolement. La reconnaissance sociale et culturelle de la personne est la condition essentielle de son inclusion dans la société où elle vit.
Les engagements civiques sont liés à la dimension politique de l’exclusion. Une personne qui ne peut pas voter, qui ne peut prendre part à la vie de la communauté ou de la société souffre de discrimination et d’un manque de contrôle sur les décisions politiques qui l’affectent. Le point clé de l’inclusion civique est la possibilité de participer à la vie sociale et publique, ainsi que la possibilité d’être représenté à différents niveaux politiques.
2.2) Pauvreté
Pour définir la privation (ou pauvreté) relationnelle, nous définissons premièrement des seuils (ou cut-offs ) au niveau des composantes, comme décrit dans la table 2 ci-contre.
Dans un deuxième temps, nous définissons des seuils de pauvreté au niveau des dimensions: quelqu’un qui est pauvre dans au moins une des composantes d’une dimension est considéré comme pauvre dans cette dimension. Troisièmement, nous définissons des seuils au niveau de l’indicateur : une personne est considérée comme pauvre si elle est pauvre dans les trois dimensions en même temps.
Le choix des seuils de pauvreté a des racines philosophiques dans :
La perspective de Martha Nussbaum sur les capacités centrales[4]: de fait, en adoptant des seuils en deçà desquels un individu est considéré comme pauvre relationnellement, on défend implicitement l’idée qu’il existe un minimum requis dans chaque dimension de la vie sociale.
Notre perspective walzerienne: nous soulignons l’idée que, comme l’a exprimé Michaël Walzer,[5] la condition du respect de soi est la reconnaissance d’une personne dans au moins une sphère de son existence. Puisque chacune de nos dimensions représente une sphère de l’existence, nous considérons que quelqu’un qui atteint le score le plus élevé dans au moins une de ces sphères ne devrait pas être considérée comme relationnellement pauvre, quel que soit son score dans les autres dimensions.
Cette approche se reflète dans la méthode utilisée pour construire les agrégats constitutifs du RCI.
3) Agrégats de l'indicateur
Pour construire l’indicateur, la méthodologie la plus courante dans les approches multidimensionnelles de la pauvreté est celle du calcul normatif (un corpus large de littérature s’est inspiré de la méthode d’Alkire-Foster[6]). Cela consiste en un agrégat arithmétique des trois dimensions de la pauvreté selon leur définition théorique. Chaque dimension est une moyenne pondérée des composants selon des poids équivalents, et elle est elle-même pondérée de manière équivalente avec les autres dimensions dans le calcul de l’indicateur.
Cependant, les dimensions du RCI peuvent être agrégées de différentes manières (pour les axiomes et les pondérations, voir Giraud et al., 2013[7]) mais la définition du seuil de pauvreté est toujours la même: si un individu obtient le score maximum dans au moins une des dimensions, il n’est pas relationnellement pauvre.
En résumé, il y a deux types de mesures: l’extension ou proportion de pauvres (proportion des pauvres relationnellement sur l’ensemble d’un échantillon); et l’intensité de la pauvreté, calculée en utilisant différentes pondérations et moyennes (arithmétique, géométrique, etc.). Nous obtenons l’indicateur synthétique RCI en multipliant la proportion de non-pauvres par l’intensité des capacités.
4) Pour aller plus loin
Des documents de travail sur le RCI :
[1] http://www.ophi.org.uk/multidimensional-poverty-index/
[2] Bernard, P. (1999). Social Cohesion: A critique. Canadian Policy Research Networks.
[3] Fraser, N. (2009). Scales of Justice: Reimagining Political Space in a Globalizing World. New York: Columbia University Press.
[4] Nussbaum, M. (2000). Women and Human Development. The Capabilities Approach. Cambridge: Cambridge University Press.
[5] Walzer, M. (1983). Spheres of Justice. A Defence of Pluralism and Equality. New York: Basic Books.
[6] Alkire, S. & Foster, J. (2008). “Counting and multidimensional poverty measurement”, OPHI Working Paper.
[7] Giraud, G., Renouard, C., L’Huillier, H., De La Martinière, R., & Sutter, C. (2013). “Relational Capability: A Multidimensional Approach”, ESSEC Working Paper 1306.